C’est le 8 mai. J’ai même réussi à me lever. Je me couche, je suis bourrée, je me lève, toujours bourrée. Victoire ! J’ai réussi à lire la date du jour sur le calendrier. C’est pas celui de 2024. Je suis pas nostalgique. Il fait beau. Depuis le 8 mai 1945 la France est libre, et délivrée du fascisme. Depuis le 8 mai 1945 la France est un pays en paix.

Mon frère il en avait marre des voisins qui se plaignent du chant du coq et des odeurs des bouses de vaches. Chez lui il a fait un Refuge LPO. Ligue pour la Protection des Oiseaux. C’est bien j’ai pu cuver ma gnôle un peu. C’est le 1er mai aujourd’hui alors je travaille pas. En vrai, hier et demain non plus je travaille pas. Comme les gars d’Arcelor, Caddie, Mahle Behr. Bref je suis allée voir son refuge, au frangin. Ca jacte h24, ça crie, ça flûte, ça trille, ça s’engueule, ça dit « Viens pas chez moi tu verras ta gueule si t’approches» et ça te l’chante en continu du lever au coucher du soleil, après y a l’équipe de nuit qui prend la suite. C’est mieux que le gars du rez-de-chaussée avec sa Lexus. Lui, il a soudoyé l’OMH pour avoir son lit juste à côté du parking. Autour de sa caisse, y a 4 places vides, parfois plus ça dépend des arrivages. Y fournit, y goûte et chez lui t’as quasi assez d’équipement pour reprendre Donetsk avec toutes les terres rares. Ça fait 5 ans qu’on a pas vu un flic dans la cité, ça correspond à la date où il a emménagé. Quand je suis rentrée aux Mirabelles ce soir y avait des basses en continu, le schizophrène du 5e qui faisait des trous dans ses murs avec sa perceuse, y fait des séries, tout le temps, des séries de trous, des séries de clous un jour ça va nous tomber sur la gueule, des cris sur le parking, pas à côté de la Lexus, non, c’était parce que M. Dutilleul s’était pas garé à sa place habituelle, normalement y s’met à côté de la secrétaire et là y s’était mis ailleurs. Un coup de gnôle et de MD c’est vivable. C’est même pas mal mais ça dure pas longtemps. Et faut augmenter les doses à mesure.

Je suis libre. Personne m’attend. Je deviens un prédateur au crépuscule, quand je vais chercher sa pâtée à Bébé. Le manque m’habite. J’ai peur de rien. Eux si. Se faire agresser par une vieille de plus de 50 bouteilles dont les dents restent plantées dans le pain de mie ça laisse des traces dans la psyché des voisins. Parfois je sors en plein jour, mais je sors pas de mon quartier.

On a connu le Paléozoïque, ou ère primaire, le Mézosoïque, ou ère secondaire, le Cénozoïque, qui fait les ères tertiaire et quaternaire tout en un. A la date d’aujourd’hui on était dans l’Anthropocène. L’anthrope a merdé maintenant commence l’ère du pigeon. L’idée de l’ère du pigeon c’est que la diversité, c’est pas rentable, parce que, faut ajuster la production. Pis y’ en a toujours un qui réclame. Les oiseaux ? On extermine, on harcèle aux pesticides, on affame et on laisse crever. Seul restera le pigeon parce qu’il sait faire nos poubelles. Les hommes ? Le pigeon. T’as compris. Parce que sinon c’est pas rentable. Le pigeon, on lui enlève ses droits, y dit « oui », ça faisait trop d’impôts aux ultra-riches, on lui fait payer un max sur l’énergie, l’eau, les biens de première nécessité, il dit « Oui, évidemment c’est les migrants qui m’ont volé tous mes billets sur mon compte pendant la nuit », on lui dit « Tu taffes au noir sans contrat on te paie si on a envie », y dit « Je prends c’est l’Amérique ! ».  L’ère du pigeon, c’est l’ère où tu te souviens que t’as connu une diversité chaude et vivante, maintenant t’as plus qu’un choix et c’est pas le bon.

Entre les débuts de mois qui puent parce que le compte est déjà près de zéro, les petits voyoux du 4e et Bébé qui fait à côté de sa litière chaque fois que je frôle le comas éthylique, je jouis d’une remarquable stabilité dans la mouise.

J’aime bien les tueurs en série. Hélène, Milton, Chido, Gudrun, Total, Shell, ConocoPhillips, BP, la goutte froide espagnole, Donald…

J’aime bien les gens qui m’emmènent quelque part. Mon prince qui s’est sauvé quand il a vu ma gueule, dans tous mes rêves je lui dis « Emmène-moi loin d’ici ». Quelque part. Avec mon chat noir, Bébé. Bébé il est tout noir mais tu sais déjà que la misère, c’est pas lui qui la produit. J’ai plus de travail. Entre autres choses. Et ça fait des dizaines d’années qu’on vote pour des humanistes, des experts, des super-techniciens qui nous racontent qu’ils vont nous emmener quelque part. On n’a pas bougé d’un iota. Par contre on s’enfonce. Y’ a bien un déplacement, mais pas horizontal. C’est vertical et vers le bas.

Hé, qu’est-ce qu’elle est bien montée, la Miss France 2025 ! 1,83 m, des proportions parfaites, les jambes longues, une gueule de pub pour une grande marque de champagne… 34 ans elle a, la Miss. Alors moi avec mes 50 bouteilles je me dis que... quand même ! La France, la classe ! Faites pas attention au cocard, c’est pas de naissance, c’est Macron quand le chancelier autrichien lui a offert des gants de boxes. Non parce que moi aussi, quand même.

Depuis dimanche, je me sens… mondaine. J’ai assisté à la résurrection de Notre-Dame en direct à la télé. C’était beau, y avait du doré partout.

J’ai ramené sa pâtée à Bébé. Et maintenant j’suis bourrée. J’ai mal à mon budget. J’ai des dépenses, les postes de dépense vitaux incompressibles, et pas de revenus pour couvrir. Remarque bien le gouvernement aussi y dit qu’il a mal à son budget. Mais lui, les revenus, il a choisi de se les couper. Moi j’ai jamais fait ça. On me le fait. C’est pas la même histoire. Donc le gouvernement y va le faire passer à la dure le budget. 49.3. Ça va nous apprendre. Si on veut bien. J’ai un œil très poché, j’ai craché quasi toutes mes dents, des côtes cassées aussi, j’ai, si je vais à Lourdes, en boutique, je peux fournir tout le rayon ex voto. Je vais peut-être faire une coquetterie. Pour réduire la dette publique et équilibrer le budget on peut demander au gars du dessus qui est milliardaire – mais non il habite pas dans l’immeuble – de participer un peu, à hauteur de 2 % de ses milliards, mais non, parce qu’y veut pas. Regarde ailleurs, Ginette, y z’ont fait un sapin de Noël. A l’entrée de la galerie marchande. Ouais. Le Shopi en bas de l’immeuble c’est un parcours du combattant pour y arriver, une fois dedans tu vois les prix t’en as la fesse qui tremble comme un cochon à l’abattoir, arrivée à la caisse tu trébuches tu commences à voir trouble et c’est pas que la gnôle – que j’achète pas parce que c’est mon frère qui produit. PQ, pâtée Bébé, savon, yaourts, pois chiches en boîte, 50 euros ! Raah ! Mes recettes pour l’instant c’est France Travail et après si je trouve rien, par exemple parce que je suis toujours bourrée, c’est RSA. Sur moi y a des économies à faire.

Les ados sont scotchés à leurs écrans moi je peux pas les regarder, les écrans. Tout à l’heure je voulais voir la météo j’ai cliqué sur une vidéo de L214, pardon c’était pas L214, c’était Beyrouth. Ça va trop vite je confonds tout. Même grisé je peux pas regarder. Beyrouth, je veux dire.

La branche de prunier mirabelles elle s’est cassée. Je suis toujours là.